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Le Poilu à l'écu et le Monument aux morts, Bessans (Savoie).

À la fin de la Première Guerre en novembre 1918, la France exsangue et en deuil, a perdu plus de 1 300 000 soldats.

Un an après, en octobre 1919, le gouvernement Poincaré édicte une loi pour la « commémoration et la glorification des morts pour la France ». Dans un premier temps, un travail de recensement de tous les Français morts dans le conflit débute. Leurs noms sont notés dans un livre d’or, ensuite transmis aux communes. L’État décide aussi d’accorder une subvention particulière pour l’érection d’un monument au sein des villes et villages stipulant le nom de chacun des disparus.

C’est un geste fort car c’est la première fois en France que le nom des morts est gravé sur un monument au sein des villages, perpétuant leur mémoire et leur sacrifice. À Bessans, ils furent trente-quatre hommes à donner leur vie entre 1914 et 1919, et leur mort, outre les peines engendrées, bouleversa pour de nombreuses années les structures familiales et économiques de ce village de montagne.




Coll. F. Tracq


Bessans inaugure son monument aux morts le 13 août 1922.

Abandonnant l’idée d’une simple stèle ou d’un obélisque, souvent choisis pour leur prix modeste, Bessans a commandé, sûrement sur catalogue, la statue en fonte de fer bronzée nommée Le Poilu à l’écu.

Suite à la loi d’octobre 1919, des marbreries, des fonderies surtout, se sont spécialisées dans la sculpture pour monuments aux morts. Elles se mènent une concurrence acharnée pour décrocher des contrats auprès des communes qui peuvent ainsi acheter, en différents formats, peints ou non, des Poilu victorieux ou à la grenade, un Soldat blessé, un Poilu mourant, un Poilu montant la garde ou au repos… ou des France victorieuse, glorieuse ou pleurant ses enfants morts

Le Poilu à l’écu qu’a choisi Bessans, comme les palmes enrubannées apposées sur le socle en pierre du monument, sont signées de l’Union artistique internationale à Vaucouleurs, tout à côté de Nancy.



Catalogue de L’union artistique internationale à Vaucouleurs, vers 1900.


L’entreprise, fondée en 1860 comme Manufacture d’art religieux en pierre, se spécialise après la guerre de 1870 dans la production d’objets d’art pour les églises et monuments divers en plâtre, en terre cuite ou en fonte où là, elle a recours aux renommées Fonderies de Tusey voisines. Après la loi de séparation des Églises et de l’État en 1905, l’entreprise s’oriente alors vers les statues et le mobilier urbain puis, après 1919, vers la production de statues ou d’ornements pour les monuments aux morts.




Photographie Léon Personnaz, coll. BJA.


Le Poilu à l’écu, sculpté par Emile Roy (1893-1961) qui, après avoir été mobilisé plus de quatre ans dans le 44ème territorial de Verdun, a retrouvé sa place comme sculpteur à Vaucouleurs, a été fondu aux Fonderies de Tusey.

Il représente un poilu en uniforme, debout et s’appuyant sur un écu, un bouclier sur lequel sont gravées trois grandes batailles de la guerre : L’Yser, Verdun et la Marne.


La bataille de l’Yser, du nom d’un fleuve côtier au sud d’Ostende, oppose entre le 17 et le 31 octobre 1914 les armées belges et françaises aux forces allemandes qui envahissent la Belgique. Après des combats acharnés, seule l’inondation volontaire de la plaine marécageuse entre Nieuport et Dixmude arrête pour un temps l’avancée des troupes allemandes vers la mer et le nord de la France.

Verdun en Lorraine, entre février et décembre 1916, est la bataille la plus longue de la guerre, bataille de positions perdues et gagnées tour à tour, symbole d’une défense du territoire acharnée, de paysage dévastés et de morts innombrables.

Puis enfin, la Marne, terre de deux victoires décisives d’abord en septembre 1914 puis de mai à août 1918 où les troupes françaises et alliées ont contenu avec succès les armées allemandes.

Considérées dès 1919 comme des symboles de la résistance et du courage des soldats français, ces batailles n’en furent pas moins meurtrières et, pour Verdun surtout, une victoire moins incontestable que le gouvernement ne le proclamait. Mais le temps était alors de glorifier la mort de si nombreux jeunes hommes, martyrs « Pour la France ».



Armée française, Imageries réunies Jarville-Nancy, coll. MIE, Épinal.


Le Poilu, surnom donné aux soldats, fantassins surtout, de la Première Guerre, est celui qui a du poil « aux bons endroits», un homme viril et courageux.

Il est représenté moustachu et décoré de la Croix de guerre. Coiffé du casque Adrian en acier, il est en tenue réglementaire bleu-gris dit « bleu horizon », uniforme qui a remplacé peu à peu dès 1915 la tenue bleue et rouge garance décidément trop voyante. Sa capote relevée pour favoriser la marche, découvre le pantalon et les bandes molletières enroulées autour des mollets. Il porte sur sa poitrine les deux cartouchières qui lui permettent de recharger le fusil qu’il tient à la main. En bandoulière, différentes musettes contiennent grenades ou quelques affaires personnelles. Avec une gourde et la boîte cannelée de rangement du masque à gaz ARS 17 (appareil respiratoire spécial), devenu essentiel dans la guerre chimique des tranchées, son équipement d’urgence est au complet.



Photographie Léon Personnaz, coll. BJA.


A l’arrêt, le soldat a déposé à ses pieds le reste de son lourd « barda » : havresac sur lequel sont accrochés gourde, seau et gamelles, couverture et toile de tente roulées. On reconnaît aussi une pelle-bêche et les indispensables brodequins cloutés de rechange, les « godillots », nommés d’après le nom du fabricant Alexis Godillot qui fournissait vers 1850 l’armée. Le mot est aujourd’hui un nom familier décliné en godasse ou grolle !

Dans notre vocabulaire, on retrouve aussi plus souvent qu’on ne l’imagine les mots qu’utilisaient les poilus il y a plus de cent ans comme le jus (café), le barda (les sacs), la crèche (l’endroit où on dort dans une grange), la gnôle, ou le pote (l’ami sur lequel on s’appuie, un poteau !) …

Après la Seconde Guerre, deux plaques en marbre noir ont été posées au pied du monument: sur l’une d’elle, le nom d’un dernier combattant de 1914 mort en 1928 a été rajouté à celui des victimes entre 1940 et 1944. La seconde rappelle surtout le rôle majeur de la population courageuse de cette commune décorée de la Croix de Guerre.

Sur le monument, le Poilu de 14-18 aura désormais pour mission de personnifier et de rappeler le souvenir des soldats morts dans ces deux guerres si proches.



Le Poilu à l’écu de Bessans est resté seul et de couleur bronze. Mais certaines communes proches de la mer l’ont accompagné d’un fusilier marin[1] comme à Pleubian dans les Côtes-d’Armor ou à Céaucé en Normandie. Certaines ont même voulu le rendre plus «vivant », en le peignant de couleur vive.



Sans que le résultat ne soit très convaincant d’ailleurs !

[1] Probablement lui aussi de l’Union artistique internationale de Vaucouleurs.


Ce texte a été publié à l'origine dans la collection Histoires du site de Bessans, jadis et aujourd'hui. À consulter sans modération.

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